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Bénin : la vie des agents de santé multitâches malgré eux

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Effectifs insuffisants, aide-soignante jouant le rôle de sage-femme, sans qualification certaine, des heures de travail hors norme physiquement et moralement éprouvantes. Multitâches malgré eux, des agents de santé du public, comme du privé au Bénin, vivent des conditions de travail dégradées, avec in fine des impacts négatifs sur la qualité des soins. Immersion dans leur univers.

« Je suis toujours à cheval entre la maternité et l’infirmerie. Pendant que j’aide une femme à accoucher, il arrive qu’on m’informe de la venue d’un patient à l’infirmerie, qui doit être pris en charge urgemment ». Alice est responsable d’un centre de santé public, dans une commune du nord du Bénin, à plus de 500 km de Cotonou. Pour trouver une place sur les quelques bancs disposés en colonne devant la salle de consultation d’Alice, il faut se lever très tôt et s’assurer que l’on n’est pas un cas si grave. L’infirmière, elle, doit se plier en quatre pour être immédiatement disponible et à tout moment pour recevoir tous les patients quel qu’en soit la nature de la maladie. « Je suis infirmière, je ne suis pas sage-femme. Ce n’est donc pas facile », lâche, debout, les mains aux hanches, celle qui soigne de jour comme de nuit, et dont l’époux et les enfants sont à Parakou, à des dizaines de kilomètres de son lieu de travail.
Dans cette commune du septentrion où travaille Alice, la règle est connue de tous les agents de santé: « Il faut trouver le meilleur de soi-même pour satisfaire les populations », car, « la fonction de la santé, c’est un sacerdoce ».
C’est au nom de cette mission sacerdotale que dans un centre de santé de Kandi, Rafiatou, sage-femme pour certains, infirmière pour d’autres ou encore pédiatre pour les autres, est perdue au milieu des nombreux patients qui attendent à sa porte dès le lever du jour le vendredi 20 août 2021. Seule, cette infirmière de formation est au service, à son corps défendant, d’une population de près de 9000 habitants, selon le dernier recensement de la population Rgph4. Or l’Organisation Mondiale de la Santé (Oms) recommande un ratio de 25 agents qualifiés pour 10 000 habitants.
« Ici à l’hôpital, de façon générale, vous ne pouvez pas faire uniquement le travail pour lequel vous êtes formés », confie un agent de santé dans une clinique comme pour souligner que le problème de la surcharge de travail ou des agents multitâches, malgré eux, existe aussi dans les établissements privés de santé.

Entrée de l’hôpital de Kandi


Mauvaise qualité de services

Le manque d’effectif face à la charge de travail et l’inadéquation entre la charge du travail et le profil a des effets néfastes très subtils sur le système sanitaire. Des agents disent être exposés au stress et au mal-être. « Le drame, c’est que vous ne pouvez pas vous absenter pour un moment de repos puisque vous êtes le seul spécialiste dans votre domaine et les patients attendent. Faut-il les abandonner alors que votre présence seule les rassure et peut être source de guérison ? », s’interroge un agent de santé. Selon lui, un soignant débordé et stressé peut vite s’énerver et mal faire son travail.
Un autre professionnel de santé, exerçant au Centre Hospitalier Universitaire de Zone d’Abomey Calavi/Sô-Ava va dans le même sens. « Même si cela n’est pas conscient, ces mauvaises conditions de travail engendrent le mauvais service et la corruption. On n’est pas à l’écoute de tout le monde pour des soins de qualité mais parfois, il faut privilégier et servir ceux qui donnent des pots-de-vin.» Interrogé sur l’existence ou non des pratiques de corruption, Adolphe Houssou, syndicaliste et porte-parole du Collectif des syndicats de santé a une explication. « Que voulez-vous tirer de vertueux des agents de santé qui travaillent dans des conditions pénibles ? Oui il faut dénoncer les mauvaises pratiques mais il faut aussi agir sur les conditions favorables à de telles pratiques», soutient-il.
Des usagers accusent les agents de sauts d’humeur. « Souvent, les agents sont de mauvaise humeur et nous crient dessus pour un rien du tout. On est obligé de gérer leur humeur qui change au quotidien », confie un habitant de la commune de Banikoara. « Quand des agents qui n’ont pas la quiétude travaillent sur des personnes, des vies humaines, ils ne peuvent pas bien faire et c’est l’hécatombe », commente le syndicaliste.
Aïhounzonon Rosalie Dieunommée épouse Kpadonou, docteur en psychologie clinique et psychopathologie approuve la thèse du déséquilibre psychologique dont pourraient être victimes des agents en situation de surcharge de travail ou des agents multitâches. « Le stress physiologique que l’on remarque chez ces agents se transforme avec le temps en stress pathologique. Par conséquent, on observe des débordements comportementaux, affectifs et émotionnels. Souvent, nous observons que la personne est agressive et ne répond pas aux exigences professionnelles », explique la spécialiste. « Il y a une sorte de dépersonnalisation qui, sur le plan relationnel, crée d’énormes dégâts. La personne qui devrait rester calme, écouter et répondre aux besoins de ses patients, à moindre chose, elle devient agressive verbalement voire physiquement», ajoute-t-elle.

Aïhounzonon Rosalie Dieunommée épouse Kpadonou, docteur en psychologie clinique et psychopathologie

Vies de famille : entre souffrance et résignation

Le téléphone portable serré dans la main, Élodie, sage-femme dans un centre de santé à Allada, à une quarantaine de kilomètres de Cotonou, montre les derniers messages de la rupture avec son mari. Elle est attristée par la séparation qui date de plus d’un an. Son désormais ex-mari, rapporte-t-elle, n’en pouvait plus de ses absences répétées pour raisons professionnelles. Affectée dans ce centre de santé en milieu rural où elle devrait faire face seule à la charge du travail, toute l’énergie mentale d’Elodie était prise en otage par sa présence au poste tous les jours de la semaine. En dépit des alertes de son compagnon, resté à Cotonou, la sage-femme ne pouvait pas se libérer même les weekends pour se consacrer à son couple. « A un moment donné, je ne répondais plus à ses attentes en tant qu’épouse. Et finalement, mon travail m’a arraché mon mari », se culpabilise, les yeux larmoyants, la jeune dame, la trentaine.
Loin de son époux qui vit à Cotonou, Rafiatou, sage-femme à Kandi, à environ 630 km de Cotonou, est aussi affectée par les effets de la surcharge professionnelle sur la vie familiale, où même les congés sont passés au service pour ne pas abandonner les malades. « Quand j’ai accouché de mon bébé, je n’ai pas eu de congés de maternité, je les ai passés ici. Une semaine après le baptême à Cotonou, je suis rentrée », se plaint-elle.
Pour les femmes comme pour les hommes, la situation semble pareille du secteur public au privé. « Je totalise 15 ans de service dans cet hôpital. Mais nous n’avons pas une heure fixe pour rentrer car s’il y a des malades nous pouvons travailler jusqu’à 22 ou 23 heures même si nous ne sommes pas de garde. Arrivé à la maison, la fatigue aidant, on dort seulement», se lamente un quadragénaire, aide-soignant d’un centre de santé privé de Cotonou. « Madame est habituée. Elle sait que son mari est au boulot et elle accepte. Toute la famille s’adapte à cette condition de vie », poursuit-il. Et de conclure que «tout le monde n’est pas appelé à servir dans les hôpitaux, car c’est un don et quand tu as ce don, peu importe les difficultés, tu arrives à supporter. »
Même si la plupart des professionnels de santé concernés se résignent, la psychologue clinicienne souligne que « lorsque l’agent débordé rentre à la maison, il ne peut pas nourrir ses enfants ni son conjoint ou sa conjointe sur le plan affectif, et cela engendre des conflits relationnels avec des conséquences dramatiques.»


La responsabilité de l’État en question

Au moment où cette enquête se déroulait dans le mois d’août 2021, l’État béninois s’apprêtait à déployer sur l’ensemble du territoire, 1 600 agents nouvellement recrutés au profit du secteur de la santé. Certes, ces agents combleront un peu le besoin en personnel qualifié, mais le bout du tunnel n’est pas pour demain. Selon Jacques Kassavi, secrétaire général du syndicat national des administrateurs et assimilés du ministère de la santé, rien ne garantit que les nouveaux agents recrutés soient déployés équitablement sur le terrain. Pour lui, le fait que l’État n’a pas procédé à un recrutement sur poste ouvre la porte à toutes sortes de pression. Certains agents pourraient ne pas vouloir servir là où l’État les enverrait. La pratique constituerait à faire intervenir des “parrains” dans le processus du déploiement des agents pour ne pas aller trop loin de Cotonou ou des grandes villes au détriment des milieux où le besoin en personnel de santé est pressant.
Le syndicaliste rappelle aussi que lors de sa campagne électorale en 2016, le candidat Patrice Talon avait promis faire retourner à la craie les enseignants qui sont dans l’administration et de même que les médecins à la blouse. « Effectivement, il l’a fait dès qu’il est arrivé au pouvoir pour l’école béninoise », fait-il observer. « Pourquoi au niveau de la santé, des médecins sont dans les bureaux à Cotonou au lieu d’être sur le terrain ?», s’interroge le syndicaliste.

NB: Cet article a été réalisé dans le cadre du projet “Enquêtes sur les droits sociaux au Bénin en 2021: cas de l’eau et la santé”, financé par la Fondation Friedrich Ebert (FES) au Bénin et piloté par Banouto, dans un partenariat avec La Méteo, Matin Libre, Daabaaru et Odd Tv.

Venance TONONGBE (La Météo) & Samira ZAKARI (Daabaaru)

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