Modernes et civilisés, on s’offrit deux bonnes guerres qu’on baptisa mondiales pour saluer leurs résonances sismiques jusqu’au plus profond de peuples disparates et lointains. L’Afrique contrainte, l’Amérique affolée, l’Union Soviétique, pas encore disloquée, alertée avec sa part d’Asie, furent mobilisées pour aider l’Europe tourmentée à retrouver son âme perdue. Ces deux fêtes sauvages mirent le monde en harmonie avec Paul Valéry au XXème siècle : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » Mourir pour ressusciter á quoi ? En tout cas les civilisations reprirent du poil de la bête.
Nonobstant Vaudou, Moïse, Jésus, Allah, ONU, UA, etc., on continua de se crêper le chignon, de se chercher les poux dans les cheveux. Rien de mondial, mais quelque chose de semblable si l’on embroche intifada à répétition, Bataclan fait enfer, migrants abandonnés à la mer, George Floyd étouffé, etc., etc. On en était à ces petites musiques de chambre sans rien d’une symphonie grandiose, genre 9ème de Beethoven, lorsque la pandémie s’en vint à pas létaux pour jouer sur l’homme le jeu homicide qu’il aime tant, mais sans bombardement cette fois-ci. En effet, l’ersatz de la 3ème guerre mondiale préfère le confinement et le feutré, quitte à emprunter au Barbier de Séville au XVIIIème siècle, pour la mélodique montée en puissance : « …D’abord un bruit léger, rasant le sol, comme une hirondelle avant l’orage… Et piano, piano, … [elle] germe, rampe, chemine et, rinforzando… », etc. Elle procède avec une telle maestria qu’elle met le monde en harmonie avec Jean de La Fontaine au XVIIème siècle : « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. » Par vague et variants, par Delta et Omicron, etc. Et elle aime bien les gens âgés. Ah, les vieux ! Stoïquement ils trimballaient diabète ou hypertension ou les deux à la fois, rebaptisés comorbidités, et ils avalaient par jour une quinzaine de cachets pour retarder l’appel du destin. Au XXème siècle, Jacques Brel les voyait traîner « Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit ». C’était souffreteux. A présent, leur peine se trouve raccourcie. La bonne fée pandémique vient à brûle-pourpoint et annonce par surprise à l’élu qu’elle l’emmène de suite, car pour lui, c’est maintenant le Golgotha. Aussitôt dit aussitôt fait. A Allada au Bénin, les préposés habillés en cosmonautes emballent le covidique macchabée dans une toile et, loin du regard des siens, le poussent dans un trou aussitôt bétonné. Car l’on ne veut pas se fâcher avec la bonne fée pandémique. Elle hait les pompes de l’autre civilisation : séjour à la morgue, enlèvement fleuri, veillée de ci et de ça, tambour et trompette, patati et patata et, cerise sur le gâteau, bombance autour des camions frigorifiques. La fée pandémique a décrété désuètes micmacs et tralalas et ramené les orgues des requiem à leur nulle expression. Et nul ne s’en plaint.
Et pour dire vrai, la fée pandémique a rétabli l’homme en sa sincérité. Le Marquis de Sade le fit en fiction atroce et se retrouva dans les geôles du roi. Molière le fit en fiction douce à travers Alceste dit ennemi du genre humain parce qu’il était véridique. Les Béninois le font en mode ironique quand ils entrevoient « derrière tous les jolis accoutrements deux fesses gondolées dont la laideur révélée n’attirerait pas leur regard ». Le propos de la fée pandémique est simple : vous ne vous supportez pas les uns les autres, vous en êtes au joli vocable de féminicide pour avouer que les hommes trucident les femmes. Alors moi, je viens chanter en chœur avec vous sur l’air de La Mort des Autres, que vous affectionnez tant.
En ce sens, et puisqu’elle semble ne pas vouloir se retirer, et chante à tue-tête depuis l’année 2019 et chantera encore en 2022, la pandémie en cours ne change pas la civilisation humaine, mais la conforte, la renforce. Si elle décidait de desserrer l’étau, voire de s’en aller et de disparaître, l’homme changerait-il sa civilisation au sens de la bonifier ? L’enchanter ?