Au nord-ouest du Bénin, la commune de Natitingou riche de ses belles montagnes verdoyantes en cette saison pluvieuse, dispose de gisements d’or qui font vivre des populations. Mais l’extraction artisanale de ce minerai cause de graves atteintes à l’environnement et aux droits à la santé. Des sites aurifères aux bords des rivières en passant par le site de la montagne, Lameteo a fait une immersion dans ces lieux d’exploitation artisanale de l’or, où entre désastre sanitaire et environnemental, les orpailleurs artisanaux défendent leur activité malgré tout. Enquête !
Kouatèna, le 14 août 2021. Nous sommes au cœur de la zone aurifère de Perma, au sud-est de la commune de Natitingou dans le département de l’Atacora, au nord-ouest du Bénin. D’un côté, des femmes, la taille plongée dans de l’eau boueuse. De l’autre, des hommes décapent des surfaces de terres végétales par fonçage des puits et par grattage d’une profondeur de cinq (5) à huit (8) mètres. Tous sont sans masque de protection au bord des berges d’une rivière et au pied d’une montagne. Au sommet de cette montagne, s’élèvent des amas de poussière de granite qui enveloppent des orpailleurs filoniens entassés dans des tunnels, ignorant leur dangerosité. Dans ce milieu pourtant à haut risque sanitaire, il n’y a aucun protocole particulier. Et, les dynamites servant à créer ces tunnels dans les montagnes dégagent une odeur insupportable.
Justine, la vingtaine, est ouvrière sur l’un des nombreux espaces de creusage des terres. Munie d’un tapis de fabrication artisanale, la jeune femme se sert de l’eau fournie par une motopompe pour laver les portions de terre contenant des particules du précieux minerai : l’or alluvionnaire. Elle partage le lieu avec quatre autres femmes de la même tranche d’âge. Toutes debout en file indienne, à un mètre d’écart de distance, elles se lancent en relai des bols de terre sorties des profondeurs du puits où se trouvent des hommes à la tâche. Les sachets vides de boissons, des mégots de cigarettes et du tabac, des traces de plaquettes utilisées de comprimés et même des comprimés à même le sol retrouvés sur les lieux renseignent sur la nature des produits et substance qu’ils consomment pour booster la force physique nécessaire pour l’extraction de l’or. Mais que cache l’usage de ces produits ? « Pour aller dans un trou ou dans un tunnel, il faut être dans un état second », répond sans ambages un élu local. Pour y aller, poursuit-il, les orpailleurs prennent généralement « des tramadol, des “quatre carrés1” ». Selon l’autorité locale, parmi ces orpailleurs, certains mettent de la « dissolution des vulcanisateurs dans le café, boivent ou inhalent » de l’alcool. D’autres, apprend l’élu, prennent du chanvre indien et autres produits de dopage. « La consommation de ces substances leur donne la force pour mieux travailler et vaincre la peur dans les profondeurs des puits et tunnels », explique-t-il. L’interpellation de plusieurs vendeurs de ces médicaments prohibés sur le site, lors d’une opération d’une équipe de la police républicaine, se désole l’élu local, n’a visiblement pas émoussé les ardeurs.
Un dopage au prix de leur vie
Pour extraire facilement l’or, les orpailleurs consomment des médicaments prohibés. Ce qui n’est pas sans conséquence sur leur vie et connue des orpaillages. Mais personne ne veut parler des maladies dont elle souffre du fait de l’extraction de l’or. La raison est que les orpailleurs craignent que cela soit une raison de plus pour que le gouvernement béninois les déguerpisse de gré ou de force des lieux, les privant ainsi de leurs sources de revenus. « Nous vivons ici avec les maladies et la mort, surtout nous les ouvriers car nos patrons restent à l’ombre pour nous observer prendre tous les risques », souffle néanmoins un orpailleur, la vingtaine d’âges, le corps trempé de boue, après avoir passé des heures dans un trou de six mètres de profondeur. Interrogé, Dr Euloge Houndonougbo, Hepato-Gastroentérologue à l’hôpital Saint Jean de Dieu de Tanguiéta, explique que la plupart des orpailleurs ont souvent « des problèmes pulmonaires, le paludisme, la diarrhée, les infections de toutes natures ».
Ce que confirme Jacob Namboni, directeur départemental de la santé. « Il y a des blessures et des fractures, la tuberculose, le paludisme, la diarrhée… car les conditions hygiéniques et d’assainissement posent problème. Et surtout les infections sexuellement transmissibles tels le VIH SIDA, les hépatites», détaille-t-il.
Les maladies sexuellement transmissibles, souligne le directeur départemental de la santé, sont essentiellement dues au fait que la consommation de ces substances les met hors de leur contrôle, enclins au vagabondage sexuel et vulnérables aux maladies. « La vie est à la dérive, partout, les gens sont drogués », se désole Jacob Namboni qui dit avoir des difficultés pour passer les messages de sensibilisation afin de sauver des vies.
Improviser pour répondre aux besoins sanitaires
Accablés par les maladies liées à leur activité, les populations de Kouatèna ont demandé et obtenu l’installation d’une unité villageoise de santé publique. C’est une des salles de classe de l’école du village qui sert de salle de consultation et de soin de santé. Elle est tenue par trois agents de santé, tous des stagiaires détachés du centre de santé de Perma. Et selon les agents de santé, cette unité en espace de trois mois, a reçu des centaines de malades et des femmes enceintes venues pour accoucher.
Si dans le village de Kouatèna, les orpailleurs de ce site peuvent se contenter du lieu de soin improvisé pour répondre à la demande, sur la montagne de Koussigou, un autre site où vivent plus de mil âmes selon les orpailleurs, tout reste à installer en matière d’infrastructures socio-communautaires. « On n’a pas la voie, on n’a pas l’eau ni de centre de santé. Lorsque nous tombons malades difficilement nous descendons de la montagne. Parfois, nos femmes meurent en chemin de l’accouchement car aucun véhicule ne peut monter sur la montagne de Koussigou ici », confie amèrement Ali Diallo, orpailleur et délégué désigné du village de “Koussigou sur la montagne” depuis 2001. De nationalité burkinabè, l’homme dit être chargé de régler les conflits entre les différentes communautés venues du Mali, du Togo, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, du Niger, du Sénégal, du Nigéria et du Bénin, tous unis pour la même activité, l’extraction artisanale de l’or de Perma.
« Là où il y a l’or, il y a la mort »
Sur les sites d’orpaillage, la mort n’est pas très loin, fait constater Cyril Kouagou, chef d’arrondissement (CA) de Perma. Selon l’autorité, un drame se joue sur ces lieux, même si l’or nourrit des vies. « Il y a environ trois mois à Perma, trois écolières de CP et CE1 se sont noyées dans un des trous creusés par des exploitants clandestins. Il y a environ un mois également un ouvrier est mort dans l’un des trous », regrette le CA. « On ne peut pas compter tous ceux qui sont morts de cette façon, sans oublier, les décès par éboulements au cours de l’extraction », a-t-il insisté.
De leur côté, des orpailleurs reconnaissent que « là où il y a l’or, il y a la mort ». Car, confie un fin connaisseur de l’orpaillage dans la localité, dans l’imaginaire collectif, « les gens pensent qu’il y a un génie de l’or qui a besoin de sang et quand quelqu’un meurt, ils trouvent de l’or en abondance ».
La dégradation du couvert végétal due à l’exploitation artisanale de l’or est visible sur des hectares de périmètre. Autrefois forêt servant à faire l’agriculture, la zone aurifère de Perma à proximité du village de Kouatèna est devenue un désert à des centaines de mètres voire des kilomètres. Plus d’arbres. Juste de vastes colonnes des trous à ciel ouvert. Avant le décapage, les orpailleurs dégagent la végétation. De plus, les cours d’eaux de la zone telle que la rivière de Perma ont connu une modification de leurs trajectoires originales. « Le lit des cours d’eau n’existe plus donc tout ce qui est ressources aquatiques a disparu d’une part et les eaux sont empoisonnées par l’usage du mercure qui sert à purifier l’or d’autre part. Ce sont ces mêmes eaux que tout le monde boit, qui traversent les villages, les femmes y travaillent et contractent des infections vaginales », regrette Appolinaire Alohou, chef service en charge des questions environnementales, à la direction départementale du ministère du cadre de vie. Le mercure utilisé dans le traitement de l’or, insiste-t-il, peut causer le cancer, c’est l’une des raisons de l’interdiction de son usage au plan international.
Quant aux montagnes, elles sont perforées de toute part, verticalement comme horizontalement par ces hommes et femmes à la recherche de l’or filonien. Si les vivants subissent les inconvénients de cette activité, les morts ne sont pas tranquilles non plus. Rien ne semble freiner les orpailleurs lorsqu’ils détectent le précieux gisement quelque part. Dans cette quête, même des cimetières ont été pris d’assaut. Pour preuve, en 2020, une collectivité a saisi les autorités locales pour se plaindre des orpailleurs qui profaneraient les tombes à la recherche du minerai. Des séances de sensibilisation pour éviter de telle pratique ont été initiées par le CA. « Mais après tout cela, des gens ont continué de profaner les tombes pour de l’or », regrette l’élu local.
Le regard de la direction départementale de l’environnement
Les cadres de la direction départementale de l’environnement sont très préoccupés par la situation. L’encombrement et l’ensablement des lits des rivières n’est pas du goût de la direction. « Si cela continue, nous n’aurons plus de rivières », alerte Appolinaire Alohou, chef service en charge des questions environnementales.
Toutefois, la direction entend multiplier les séances de sensibilisation pour un changement de comportement. « La direction compte inscrire dans son plan de travail annuel, la sensibilisation des orpailleurs artisanaux sur les problèmes environnementaux qu’ils créent », promet Alohou. Elle projette aussi désormais amener les orpailleurs à reboiser l’espace détruit pour reconstituer l’écosystème des rivières. A cet effet, précise le responsable, un projet est en cours d’élaboration pour la mise en œuvre de cette action. Pour y arriver, estime-t-il, il faut pouvoir organiser les orpailleurs en coopérative, leur donner des moyens pour pouvoir mieux les contrôler.
L’arrivée d’une société chinoise et la crainte des orpailleurs
Pour réorganiser l’activité de l’extraction de l’or dans la région et la rendre professionnelle, l’État béninois a confié un périmètre à une société chinoise. Dans le but de signer un contrat d’exploitation moderne, cette société procède actuellement à une exploration afin d’avoir une idée de la qualité et de la quantité de l’or. Lors d’une consultation publique dans le cadre de l’étude des impacts environnementaux et sociaux de l’exploitation prochaine de l’or par l’entreprise chinoise, il a été décidé que cette entreprise recrute les orpailleurs artisanaux installés dans la zone, rapporte une source de la direction départementale de l’environnement. Pour ceux qui refuseraient de travailler avec la société chinoise, ils seront autorisés à extraire dans des espaces donnés dans le strict respect de la sauvegarde de l’environnement. En guise de compensation, les villages qui vivent de cette activité bénéficieront des infrastructures socio-communautaires de base telle que des forages d’eaux, des écoles, de l’électricité, des centres de santé, etc.
Pour les orpailleurs, la prise en compte annoncée de leurs besoins socio-communautaires de base sera un soulagement total pour la communauté. Néanmoins, ils voient l’arrivée des Chinois comme une menace à leur activité.
François Koukoubou, président de la fédération des orpailleurs de Perma est leur porte-voix. « Les 4 500 orpailleurs dénombrés dans la région de Perma, au dernier recensement (commandité par les orpailleurs eux-mêmes, NDRL) se posaient déjà des questions car depuis 2018, 11 dossiers de renouvellement de leur autorisation d’exploitation continuent d’être étudiés au niveau du ministère des mines. Pendant ce temps, nous apprenons que les Chinois sont dans la zone », s’inquiète l’orpailleur. « Veulent-ils nous chasser et nous priver de ce qui nourrit des milliers de bouches des villages d’orpailleurs ?», s’est-il interrogé.
Contacté pour répondre à la question, le directeur départemental des mines n’a pas donné de suite. Il souligne cependant avoir pris une note de service pour interdire toute activité d’extraction de l’or dans la région. Et pourtant, de Kouatèna centre à Kouatèna montagne, deux villages situés à quelques kilomètres de Perma, cette activité tourne à plein régime, à destination de Cotonou et de Lomé au Togo où l’or est réexporté dans certains pays européens, selon les orpailleurs.
Venance TONONGBE
NB: Cet article a été réalisé dans le cadre du projet “Enquêtes sur les droits sociaux au Bénin en 2021: cas de l’eau et la santé”, financé par la Fondation Friedrich Ebert (FES) au Bénin et piloté par Banouto, dans un partenariat avec La Méteo, Matin Libre, Daabaaru et Odd Tv.