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C’est la vie de la femme qui veut cela [Chronique Roger Gbégnonvi]

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Pépé, tu es le seul à venir ici avec papier et stylo. Et ta bière unique n’en finit pas de finir. Tu écris quoi, joli Pépé ? Tu notes les idées qui te viennent à nous observer et à nous écouter, clients et serveuses ! Bizarre. Le jour où moi je commence à chercher des idées sous nos manguiers, c’est la folie. Or tu n’es pas fou, Pépé. Je m’assois, si tu permets. Non, je ne veux pas boire. Remets-moi l’argent, s’il te plaît. Moi, c’est l’argent que je cherche ici.
L’argent pour moi et ma mère au village. Elle garde mes deux premiers accidents. J’ai 19 ans, j’en ferai encore quatre. C’est la vie de la femme qui veut ça : se faire avoir à droite et à gauche. Je vais m’arrêter à six accidents. Ils seront pour moi le cadeau de la vie. Un mari ? Ô Pépé, les poules n’ont pas encore de dents. Moi, un papa ? Je ne sais pas ce que c’est. Un soir, sur la plage de Grand-Popo, un garçon a forcé ma mère. C’était la première fois. Et c’est moi l’accident. Le garçon est allé ensuite au Gabon où il pêche du poisson. Depuis 20 ans. Il est peut-être mort. En tout cas, ma mère ne l’a pas attendu. C’est la vie de la femme qui veut ça : se faire crucifier à gauche et à droite. Et nous sommes aujourd’hui huit accidents de cinq braqueurs différents, y compris le premier dont je suis l’accident.
Non, Pépé, ne rêve pas ! Les braqueurs ne se marient pas. Et ils se fichent pas mal des accidents qu’ils causent en dégainant. Ils passent du bon temps avec nous, c’est tout. Et c’est pour cet instant fugitif acheté à 2.000 f que tu nous vois ici nous déhancher, chargées du dispositif aguicheur. Pantalon serré, scotché, avec fenêtres au-dessus des genoux, t-shirt étudié pour montrer qu’il y en au balcon, tignasse abondante, bigarrée, faisant vaguelettes dans le cou. Et, bien sûr, la peau dénoircie puis éclaircie à l’envi. Ribambelle de fringues, train de mille et un soucis. Nécessaires toutefois pour la bonne réputation du « Maquis sous les Manguiers ». Il s’agit d’appâter les mecs en manque. Si après pitance et breuvage, l’un d’eux veut de toi comme cerise, tu le suis en tant que son dessert. Et c’est la vie de la femme qui veut ça : te mettre en scène pour les mâles, et te donner au mâle qui te donne 2.000 f.

Image internet

Pépé, regarde, s’il te plaît, le petit gros à la table là-bas. Il y a une semaine, je lui ai tapé fort dans l’œil. Si fort que, à l’ouvrage, après trois va-et-vient, il déboule en cascade violente, guimbarde sans frein dans la descente d’Allada. Et il crie des cris de brousse. Et il sombre. Et il ronfle comme on souffle dans une trompette. Moi j’avais déjà ensaché mes 2.000 f. Je m’extraits de lui et de la chambre. Me voyant seule, le surveillant des passes demande où est mon gars. Je lui réponds de me coller la paix, que le diable s’était bourré de XXL et de Guinness pour me briser, et que je m’en vais courir d’autres lièvres, et que c’est la vie de la femme qui veut ça : aller de désespoirs en tortures jusqu’à l’enfer de Satan.
En matière de lièvres, je préfère les pépés. Allumette noyée. Plus de bousillage. Pépé éteint, mémé heureuse. Mais pépé a des souvenirs de bons braquages. C’est pourquoi il m’attire à lui en toute discrétion, vu que je peux être sa petite-fille. Et je te fais des pressions qui te font frémir, et tu murmures « dorlote-moi » et des incantations françaises que toi seul connais. Tu t’endors, ta main dans la mienne. A ton réveil, tu me combles d’argent en plus des 2.000 f. Les pépés en chambre, c’est la paix de Dieu. Et c’est mon enciellement à moi.
Mon joli Pépé, ne crois pas que je te démarche. A Dieu ne plaise ! Mais si tu as des souvenirs et penses que je peux t’aider à les revivre quelque peu… Ah bon ! Tu me remercies plutôt de t’avoir donné des idées d’écriture ! Celles que nos confidences te refilent ! Et ça veut dire quoi, mon imaginaire du couple et de la famille ? Tu peux donc signer du nom qu’on me connaît ici, Conchita. Mais je te souffle qu’aucune serveuse n’est connue sous son vrai nom. Toutes ici, nous avançons masquées. C’est la vie de la femme qui veut cela.

Roger GBÉGNONVI

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