« Les curieux événements qui font le sujet de cette chronique » ont commencé en 2019, se poursuivront en 2021, après avoir culminé en 2020, année qui restera dans nos mémoires comme celle de tous nos ébranlements. Le Covid-19, et c’est un truisme de le dire, nous aura lessivés, essorés, étalés. Réduits à quia et à ne plus croire à grand-chose. On veut se défendre, supprimer le mal. Mais où le trouve-t-on, au bout de quel microscope, de quel bistouri, dans quels laboratoires ? Ah, nos laboratoires et leurs vaccins ! Depuis les années 1980, le Sida a fait 35 millions de décès, 76 millions de contaminations, 40 millions de contaminés « en cours et pour toujours », 1 million de contaminés par an ; 40 ans de Sida et zéro vaccin. 10 mois de Covid-19 et 9 vaccins anti Covid-19 sortis de nos laboratoires ! Sidération. Soupçon. Interrogation. Quelle vie veut-on nous inoculer ? Ou bien, pandémie et business ? Et le Covid-19 a ébranlé notre croyance en l’honnêteté de nos laboratoires.
De même qu’il a ébranlé notre foi en Dieu lorsque, au tout début des douleurs, nous avons vu le Pape à la télévision. Presque seul au milieu de la Place Saint-Pierre. Les quelques prélats et servants présents s’étaient retranchés derrière la peur de la maladie, à bonne distance les uns des autres. Tous contagieux. Il faut s’éviter. Pour l’humanité en détresse, François a prié devant un Christ de Toute Douleur et une Madone de Toute Tendresse. Et nous avons espéré. En vain. Et de voir le Pape esseulé et triste nous avait poussés à errer sur les rives du désespoir apaisé d’Alfred de Vigny : « Gémir, pleurer, prier, est également lâche ». Et l’on fut tenté d’« opposer le dédain à l’absence…, Et ne répondre plus que par un froid silence / Au silence éternel de la Divinité ». Dans son élan, le Covid-19 ébranla aussi notre convivialité, notre connivence avec autrui, puisqu’il faut désormais fuir tout le monde.
Les guillemets à l’ouverture de cette réflexion renvoient à La peste d’Albert Camus. Fiction submergée par la réalité du tyrannique Covid-19. A Oran, on a vu la peste passer des rats aux hommes, et l’on savait à quelle horreur s’en tenir. Et quand la ville a été fermée et coupée de l’humanité, tous les Oranais se savaient victimes potentielles de la peste, mais savaient aussi qu’il y aurait une fin à l’inacceptable et que les survivants l’emporteraient sur les morts. Les lieux de culte restaient accessibles, et les catholiques d’Oran pouvaient aller écouter les prêches du père Paneloux et se consoler autant qu’il était possible. Au lieu que, avec le tyrannique Covid-19, la panique est partout et l’espoir nulle part. Il est même devenu salutaire de ne pas fréquenter les lieux de culte. Du bout des lèvres, les responsables politiques autorisent que l’on s’y réunisse à quelques-uns, plutôt dispersés que réunis, dûment enfermés dans les gestes-barrières. Noël à deux ou trois et en catimini ? La ville de Porto-Novo privée de sa fête patronale, de sa carnavalesque Epiphanie ? Est-ce encore la vie ? Que nous fera perdre de plus le Covid-19 ? Jugeant inhumain le repli sur soi imposé par la pandémie, certains se sont enlevé la vie ? Le Covid-19 nous a fait tout perdre en 2020.
Lorsque, ébranlés par l’horizon christique annoncé, « beaucoup de ses disciples se retirèrent, et ils n’allaient plus avec lui », Jésus se retourna vers les douze et leur demanda : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » Et ce fut Pierre qui s’empressa de répondre pour tous, comme pour arrêter la débandade entrevue : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn, 8/66-68). Courage forcené ou espérance résignée de la part de celui qui, pour ne pas mourir, se reniera devant une servante ? En ces temps de toutes les nuits, il nous faut tous les courages d’espérer et d’agir pour rallumer tous les soleils que le Covid-19 a éteints, notamment en l’an 2020. Espérance éperdue et active. Solidaire. Nous n’avons pas d’autre alternative. Pour l’immense défi à relever par les survivants, sursum corda !