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Migration et emploi : exploitation, prostitution, proxénétisme…dans les dédales de l’informel au Bénin

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Il est 10 heures à Agla, un quartier populaire de la ville de Cotonou, capitale économique du Bénin. Sonia, jeune togolaise de 23 ans, enfile son tablier et prend service derrière le comptoir du bar-restaurant où elle occupe le poste de serveuse depuis 6 mois.

Ce matin, la jeune Sonia, grande, aux cheveux tissés, porte sous son tablier une jupe courte et un débardeur. Sourire aux lèvres, elle se dirige vers les premiers clients qui arrivent et leur présente le menu. Elle conseille les clients sur leurs choix, transmet fidèlement la commande et sert les clients lorsqu’elle est prête. Sonia sait que sa beauté alimente les caisses du bistrot, précisément parce que les serveuses représentent l’un des arguments les plus attractifs de ce bar. Les habitués s’y rendent le plus souvent pour fumer du narguilé connu sous le nom de chicha.
Sonia n’a pas une seule seconde de repos. Elle devra ensuite, encaissée la somme payée et nettoyer la table après le départ des clients. Durant ses 12 heures de service par jour, la jeune femme endure les remarques vulgaires et la drague épaisse des clients mais ne semble pas contrariée. Le bar est équipé de plusieurs cabines individuelles et privées où les serveuses doivent parfois divertir les clients pour les encourager à dépenser sans compter en alcool. « Les clients ne sont pas les seuls que nous devons satisfaire. Lorsque je vais faire les comptes à mon patron dans son bureau, j’ai plus de chance de m’offrir à lui que de sortir telle que je suis rentrée. C’est comme cela que s’achèvent mes journées. », a-t-elle expliqué. Ces abus sont passés sous silence car selon François TONAVO, spécialiste des questions d’égalité et de genre, les femmes étrangères travaillant dans ce secteur, sont employées sous un statut précaire, et ont peur que leur contrat, bien qu’il soit souvent verbal, ne soit pas renouvelé. Ensuite, dans ces milieux comme dans beaucoup d’autres, la violence sexiste est parfois perçue comme naturelle.

Sonia est arrivée au Bénin en 2018, laissant derrière elle sa mère âgée de 55 ans et ses frères Espoir, Mathias et Abigaël respectivement âgés de 17, 14 et 8 ans. Même si depuis ce temps, elle n’a pu trouver ces fameux emplois bien rémunérés qu’on lui a vantés, elle se réjouit quand même de l’amélioration de sa situation financière. « A Lomé, je vivais dans le quartier Adéwi, dans une maison de location chambre salon avec ma mère et mes frères. Je n’avais pas de travail, mais aujourd’hui, je peux quand même envoyer de l’argent à ma famille », a-t-elle déclaré.
Sonia ne détient aucune pièce d’identité mais a travaillé pendant plus d’un an dans différents bars, restaurants et boites de nuits de la ville de Cotonou. Avec son salaire mensuel de 45 000 francs CFA, la jeune femme loue un studio de 12m2, non meublé, qu’elle partage avec trois autres ressortissantes togolaises ; toutes issues de milieux modestes en quête de moyens financiers pour subvenir aux besoins de leurs familles restées sur place.


Un Cadre juridique méprisé

A l’instar du bar dans lequel travaille la jeune togolaise, plusieurs restaurants, débits de boissons et cafétérias recrutent également leur main d’œuvre auprès des citoyens des pays voisins à la quête d’un pis-aller en territoire étranger.
L’Institut national de la Statistique et de l’Analyse économique (INSAE) du Bénin, renseigne que la population d’immigrés dans le pays est majoritairement d’’origine africaine et particulièrement de l’Afrique de l’Ouest. Toujours selon l’INSAE, les plus fortes communautés d’immigrés sont les Nigériens, les Togolais et les Nigérians.

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Les travailleuses, comme Sonia, qui sont sans papiers se retrouvent dans une situation irrégulière au regard des lois et règlements régissant le placement de la main d’œuvre au Bénin. Ces textes fixant les conditions et la procédure d’embauche, de placement de la main-d’œuvre et de résiliation du contrat de travail en République du Bénin, autorisent le recours aux services d’un travailleur étranger, mais fixent quelques conditions. Ainsi, pendant les deux premières années de sa résidence régulière sur le territoire et sous réserve des dispositions contraires d’un accord ou d’une convention passée par la République du Bénin, tout étranger ou immigrant ne peut exercer une activité salariée qu’en vertu d’un contrat de travail à durée déterminée. L’article 26 de la loi n°98-004 du 27 janvier 1998, précise que l’employeur doit également s’assurer que le demandeur à l’emploi détient un permis de travail valide. Le non-respect de cette prescription par l’employeur est constitutif d’infraction prévue et réprimée par les dispositions de l’article 303 du Code du Travail au Bénin.

Du comptoir au trottoir

Avec son salaire, Sonia n’a pas encore réussi à épargner le maximum d’argent pour se payer la formation dont elle rêve. Avec un autre groupe composé de femmes togolaises, ivoiriennes et gabonaises, la jeune femme a délibérément décidé d’intégrer le marché de la prostitution.
Elle raconte que ses débuts dans le réseau des travailleuses de sexe étaient assez difficiles. Son chiffre d’affaires était en moyenne 15 000 francs CFA la soirée. Aux alentours du stade Mathieu Kérékou de Cotonou, Sonia et son groupe de femmes étrangères, se dissimulaient entre les voitures stationnées. Adossées aux voitures ou discutant avec les badauds, à l’entrée des boites de nuit, elles attendaient patiemment le retour des propriétaires de véhicules. Selon les dires de la jeune togolaise, lorsque la soirée se révélait infructueuse, des chauffeurs profitaient de la faiblesse des jeunes étrangères en leur demandant des faveurs sexuelles en lieu et place de frais de transport.
Mais depuis que la police a multiplié les répressions dans les rues, reconnues pour être les repères des travailleuses de sexe, plusieurs femmes migrantes qui œuvrent dans ce secteur ont opté pour la digitalisation ou le télétravail. La prostitution de la rue ne concernerait désormais plus qu’une frange marginale. Selon la sociologue Aurélie DIMON, la prostitution sur internet est un business en plein essor. « Internet faciliterait la dissimulation, l’anonymat et la discrétion qui permettent de développer cette activité. »
Le principe est simple. Sur WhatsApp, Facebook, Telegram ou d’autres services de messagerie instantanée, des jeunes femmes forment un groupe fermé où elles sont mises en contact avec des hommes prêts à payer pour du plaisir sexuel. Le tout, organisé par un proxénète qui est par ailleurs l’administrateur de ce groupe fermé et dans le cas de Sonia, Didini (pseudonyme), le gérant du bar-restaurant où elle travaille.
Comme toute autre activité portant atteinte aux bonnes mœurs, le proxénétisme est réprimé au Bénin. L’article 556 de la loi 2018-16 portant code pénal en République du Bénin, punit d’un emprisonnement d’un (01) à trois (03) ans et d’une amende de 250 000 francs CFA sans préjudice de peines plus fortes s’il échet, celui ou celle qui, sous une forme quelconque, aide, assiste ou protège sciemment la prostitution d’autrui ou le racolage en vue de la prostitution. La loi considère comme proxénète, celui qui fait office d’intermédiaire, qui embauche, entraîne ou entretient même avec son consentement, une personne majeure en vue de la prostitution ou la livre à la débauche. Même si une dizaine de ses collègues ont été envoyés en prison, puis certains relâchés, soit pour insuffisance de preuves ou vice de procédure, Didini, 36 ans, ne compte pas abandonner sa petite “entreprise”.

L’accès aux groupes qu’il dirige est conditionné à paiement. Il dit être intransigeant sur les modalités d’intégration. « Si tu es un client et que tu veux intégrer l’un de mes groupes WhatsApp qui comptent des centaines de membres, tu dois d’abord payer les frais d’inscription qui sont de 20 000 f cfa. Une fois dans le groupe tu peux choisir des filles ».
Il ajoute que la demande est plus grande quand les filles sont des étrangères parce qu’elles sont plus discrètes. Une discrétion dont se soucient également les travailleuses. « Je prends au moins 25 000 francs CFA à chaque rendez-vous et je n’accepte pas les rencontres avec des clients qui parlent éwé comme moi. Quelqu’un pourrait me reconnaitre et informer mes parents à Lomé » a déclaré Sonia.
Les offres vont du simple effeuillage par vidéoconférence interposée, à des rapports sexuels proprement dits dans un lieu choisi pour l’occasion. Interrogées sur les raisons qui les y poussent, les jeunes migrantes évoquent généralement trois raisons : les besoins alimentaires, l’incapacité à fournir l’essentiel à leur progéniture et la prise en charge des parents restés sur place.

La lutte des syndicats

Par un arrêté interministériel en 2017, le Bénin s’est doté du Groupe de Travail Migration et Développement GT-MD. Ce groupe est destiné à élaborer la politique migratoire du Bénin et à mettre en œuvre les plans d’action destinés à pérenniser et à accroître la part contributive des diverses dimensions de la migration au développement du pays. La commission Migration, Emploi et Développement au sein du GT-MD travaille en collaboration avec plusieurs syndicats. Selon Anselme AMOUSSOU, coordonnateur du Réseau des Organisations Syndicales pour la Défense des travailleurs migrants au Bénin ROSYD-TM, les organisations syndicales s’investissent dans la défense des droits et des libertés des migrants au Bénin depuis l’année 2018. Des luttes syndicales et des droits que la jeune Togolaise ignorait jusque-là.
Pour aider les migrants sur le territoire béninois, les stratégies utilisées sont entre autres, l’assistance juridique et administrative, les programmes d’orientation, le lobbying et les plaidoyers envers les structures exécutives et parlementaires pour le renforcement de l’arsenal juridique et réglementaire de protection des travailleurs migrants. Tout migrant régulier ou non, jouit des droits fondamentaux et le syndicat doit veiller à cela. Le réseau intervient directement auprès de la police, de l’administration du travail ou des autorités ministérielles.

Anselme AMOUSSOU, coordonnateur du Réseau des Organisations Syndicales pour la Défense des travailleurs migrants au Bénin ROSYD-TM

Anselme AMOUSSOU révèle que plusieurs cas de violations ont été signalés et traités par les syndicats dans le centre d’accueil, d’orientation et d’assistance, ouvert à la bourse du travail de Cotonou et au niveau du point focal à Aplahoué dans le Couffo. A titre d’exemple, le cas d’un Togolais battu à sang par son employeur qui l’accusait de vol et un cas d’esclavage sexuel dont sont victimes des employés de bar dans le département du Couffo. « Nous demandons aux camarades migrants de se faire assister pour faire respecter leurs droits » a-t-il ajouté. Malgré la main tendue des organisations syndicales, Sonia ne souhaite pas toute suite débrancher avec l’informel ou abandonner ses emplois occasionnels. « Dans 08 mois, j’aurai épargné assez d’argent pour payer mon contrat de formation en haute couture au Togo. » En attendant, les leaders syndicaux sont toujours engagés dans la lutte pour la ratification de la Convention de l’Organisation Internationale du Travail, régissant le travail des migrants au Bénin.

Dorcas GANMAGBA

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