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Chronique Roger Gbégnonvi| Charlie et l’envol de quatre milliards

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C’est face à mes juges que je répondrai à votre première question. Mais je peux vous répondre à la deuxième. J’en suis arrivé là tout simplement par mes lectures des écrits et, notamment, de la presse de notre pays. J’ai lu ‘‘Le procès Amadou Cissé’’ publié par l’ONEPI en 1992. On a promis « un profit cumulé de quatre milliards de francs CFA dont trois milliards cinq cents millions seront remis… au camarade CISSE M. Amadou », et le marabout a fait nommer le prometteur ‘‘ministre des Finances et de l’Economie de la République Populaire du Bénin’’. Au nom de la Révolution, les cadres de mon pays ont mis à plat les deux banques d’Etat, les seules qu’autorisait le marxisme-léninisme, la BCB et la BBD. « Tout le monde a bouffé », a conclu un accusé, et on plia le procès. J’ai lu ‘‘Le mal transhumant’’, publié en 2005 par un de nos journalistes d’investigation. Ce livre m’a marqué. Le préfacier a félicité l’auteur d’avoir ignoré la complaisance et les concessions pour investir « avec force documentation et un sens sourcilleux de la précision, l’univers de l’immoralité politique dans son pays ». Et il est vrai que, sur plus de 200 pages, on voit nos députés jouir abondamment de la démocratie, se faire acheter à pas moins de dix millions pour chaque loi votée, en plus du salaire et des primes sans nombre. Et c’était avant le cri du cœur jailli de leurs rangs à l’aube de la Rupture : « Moi aussi, j’ai pris l’argent. » Le 16 septembre 2010, j’ai lu dans l’un de nos quotidiens la ‘‘lettre ouverte’’ d’un de nos députés à un autre député. Querelle vive : son collègue était tout à fait ce que pensaient d’eux en silence les gens informés : « J’affirme haut et fort, et je dirai même que je clame qu’il y a effectivement un député voyou, loubard, braqueur et coupeur de route. C’est bien toi. » Lettre en un très bon style. Je décaissais déjà pour mes supérieurs et pour moi-même quand commença à circuler la rumeur qu’un immense catholique béninois avait délesté de 110 millions les caisses de la fondation portant le nom du plus grand Prélat de notre pays, et je me suis senti encouragé. La rumeur a fini par devenir clameur sur les réseaux sociaux et dans un quotidien en ligne. Comme de nombreux Béninois, j’avais appris moi aussi, sous couvert de ‘‘ne le dis à personne’’, le geste fort d’un haut fonctionnaire de nos Finances. Avec d’autres, il venait d’empocher un important butin destiné au trésor public, mais était, avec les siens, à un doigt d’être arrêté. Prévenu, il roula les perquisiteurs et se fit présenter des excuses. Il avait brûlé nuitamment dans sa cuisine entre 40 et 50 millions f. CFA. L’entreprise a fait l’objet d’une chronique le 3 août 2020. J’avais disparu le 11 septembre 2019, mais continuais à m’intéresser à notre presse.
Voilà ! Ou à peu près. Ces lectures ont complété ma formation. Si l’Etat te nomme gardien d’une portion du bien public et que tu ne t’en fais pas le propriétaire, tu es un triste individu. Tu traîneras en RAV4 d’occasion pendant que tes pairs exhiberont Mercedes GLE tout droit sortie d’usine. En plus, comme ils sont riches, ils s’entendent tous à merveille avec la politique et la religion. Ils meurent Hors-Classe et sont enterrés Cinq-Etoiles, tandis que toi, pauvre type, bof ! Si je n’avais pas été un idiot le 20 septembre 2020, moi aussi j’aurais fini par donner des couleurs vives à la chapelle et à la mosquée de mon village, j’aurais inondé de macaroni et de jouets deux ou trois orphelinats avec reportage à la télé. C’est ce qu’on fait pour écraser le remords. Les directrices d’orphelinat vous portent aux nues dans leurs discours vibrant de gratitude, le Curé et l’Imam font de même dans leur prêche, et vous voilà bon pour le paradis. C’est beaucoup mieux que d’être astreint à lire la Bible et le Coran, terré dans une cellule. On dit que ce sont les seules lectures autorisées par les gardes-chiourme, juste pour vous faire dire que vous avez rencontré Dieu en prison. Là et pas au dehors en toute liberté ? Je ne sais pas. Au point où j’en suis, je ne sais plus rien.

Roger GBÉGNONVI

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