On peut le dire, l’année 2019 a démarré en fanfare au Bénin. Les foules en liesse, les chants, danses et immolations, ont caractérisé la fête du Vodun le 10 janvier, fête encadrée cette année par colloque et festival à Porto-Novo et Ouidah. Porto-Novo : ‘‘Colloque scientifique international (7 et 8 janvier 2019)’’, sur ‘‘Les systèmes ‘‘divinatoires’’ en Afrique… introduction à la connaissance de Ifâ Orunmila’’. Abondance de discours savants. Ouidah : ‘‘Festival international de la danse Agogo du 9 au 13 janvier’’. Dixième édition de cet événement annuel. Abondance de danse trois jours durant. Hélas, aucune des trois manifestations ne nous aide à nous éloigner de l’impasse où pourrait nous faire sombrer notre croissance démographique sur fond d’inconscience, d’irresponsabilité et de paresse.
En 2012, Line a 14 ans en classe de 4ème et a des formes. Un professeur l’engrosse. Fin de scolarité et fuite en avant. Troisième maternité en 2019. Surcharge pour sa mère célibataire, qui élève six enfants, dont Line avec, à présent, les trois siens. Le revenu de tomates vendues en vrac assure à l’espèce de quoi vivoter. Brisées par tel éducateur, oubliées par tel séducteur passé sans s’arrêter, les Line abondent. Désœuvrées et appâtées par des mâles sans scrupule, elles se retrouvent souvent avec des enfants dits d’abord sans père, ensuite de la rue. L’espèce se débrouille pour vivoter : les gamins font de petits vols, les gamines font les bars pour être emportées. Deux millions de Dahoméens en 1960. Onze millions de Béninois en 2019. Plus nous sommes nombreux, plus vite monte la courbe. Vingt millions de Béninois aux environs de 2030. Pour quel bénéfice ? Plutôt pour quelle impasse ?
En 1960, le chômage était anecdotique. En 2019, il est la règle pour une vaste couche de la population. Michel a 35 ans, Christine sa sœur en a 28. Ils ont été aimés et soignés par des parents conscients et responsables. Mais depuis l’obtention par chacun de la licence professionnelle, ils errent de stage non payé en stage non payé, ils ont honte d’être encore à manger les sous de leurs parents retraités. Sans emploi, ne pouvant se louer la moindre case, ils évitent sagement de fonder un foyer. Michel est célibataire sans enfant. Christine est célibataire. Sous la pression de l’Horloge biologique, elle a fait un enfant que grand-maman retraitée élève. Nombreuses sont les maisons avec des Michel et des Christine. Si quelque vertu monacale les porte à vivre miséreux, sans piétiner la morale, on les retrouvera peut-être, avec quelques Line, clients des vendeurs d’illusions et de religions, qui sont, dit Karl Marx, ‘‘le soupir de la créature accablée’’, c’est-à-dire de la créature dans l’impasse.
Or nous accentuons accablement et impasse en faisant du sur-place, en approuvant sans cesse Senghor : ‘‘Nous sommes les hommes de la danse, dont les pieds reprennent vigueur en frappant le sol dur’’. Quelle nouveauté voulions-nous apporter en dansant à Ouidah trois jours d’affilée ? Discourant à Porto-Novo sur Ifâ Orunmila, que voulions-nous apporter qui ne se trouve déjà chez Bernard Maupoil, Remy T. Hounwanou, Basile Adjou-Moumouni, Gratien Ahouanmênou ? Au demeurant, les systèmes divinatoires appartiennent à l’irrationnel. Dans mille ans, leur étude ‘‘scientifique’’ en sera toujours au même point.
Devenus travailleurs sérieux lassés de ressasser, nous organiserons chaque année, à Porto-Novo un colloque national sur notre ascension démographique et sur les emplois réels et vrais à créer pour mettre nos garçons et filles au service du progrès de notre pays, à Ouidah une foire nationale de ce que nous savons faire et de comment l’améliorer pour l’exporter, à Djougou un séminaire national pour obliger nos dirigeants à aimer le Bénin. Afin que le Bénin ne soit pas demain un pays groggy, inutile pour le monde et pénible pour lui-même, à force de reproduction sans y penser, de répétition et de tradition par paresse.
Roger Gbégnonvi