L’autre jour est parvenue à l’Assemblée Nationale Française une lettre adressée à ‘‘Jean François MBAYE, Député 21ème Circonscription Val de Marne’’. Anonyme : la règle avec les insulteurs courageux. Non datée : la règle chez les courageux de cette sorte. D’entrée de texte, l’auteur interpelle son concitoyen député : ‘‘De quel droit un africain vient se mêler des problèmes de la France ?’’ Suivent aussitôt des joyeusetés urticantes du genre ‘‘venu pour profiter des avantages du pays’’, ‘‘Tu es ce qu’on appelle un ‘noir de service’… afin de faire croire que les Français ne sont pas racistes’’, ‘‘Macron…a recruté dans les laissés pour compte du pays : la grosse truie noire, Laetitia Avia, Hervé Berville qui a malheureusement échappé aux machettes du Rwanda’’, etc. Et l’homme s’ébroue de plaisir dans les puanteurs de son être : ‘‘MBAYE,… on va tout simplement te mettre une balle dans la tête, le climat actuel s’y prête bien, les victimes d’accidents de chasse augmentent… Tu vas mourir !’’
On ne saura jamais, hélas, s’il fut proposé au Cardinal Bernardin Gantin la gloire du martyre au détour d’un accident de chasse. Dans ses fonctions de Préfet de la Congrégation des Evêques, respectant la volonté de Jean-Paul II, il signa la lettre retirant à Mgr Jacques Gaillot la charge du diocèse d’Evreux. Vexée, la Fille Aînée de l’Eglise tomba sur Son Eminence comme sur le plus vil de ses valets : tu dois tout à la France, ton pays ne vaut pas un village de France, de quel droit oses-tu ? Montagne de lettres anonymes. Des amabilités pestilentielles. A la française. Après les avoir parcourues, le cardinal Gantin les remit, toutes, à l’un de ses prêtres, professeur d’histoire. Après les avoir parcourues, le prêtre en fit un grand feu à Cotonou. Informé de l’autodafé, un idéologue païen se plaignit à lui de la perte d’une belle preuve à charge contre ‘‘notre amie la France’’. Le prêtre lui opposa ‘‘l’honneur de la France’’ et que ‘‘le pays qui nous a évangélisés n’est pas cette poubelle !’’ Et il est vrai que lui-même et d’autres Béninois ont des amis Français, blancs et noirs, à qui l’on donne la communion sans éprouver l’étrange sentiment de jeter le corps du Christ dans un égout.
On ne saura jamais, hélas, quel sentiment éprouva Léopold Sédar Senghor, quand il s’aperçut du désert français autour de son cercueil dans la cathédrale de Dakar. Les Sénégalais, toutes religions confondues, s’y bousculaient pour rendre un dernier hommage à celui qui les avait dirigés pendant vingt ans. Mais aux côtés du gisant, pas un représentant officiel du gouvernement français alors qu’il avait servi la France toute sa vie sans que jamais aucun Français ne lui demandât ‘‘De quel droit un africain vient se mêler des problèmes de la France ?’’ Et il est vrai qu’il ne se mêlait des problèmes de la France que pour résoudre les problèmes de la France en France et en Afrique. Tant et si bien que la France le fit membre titulaire de l’Académie Française. Il n’y avait pourtant aucun représentant des 40 Immortels à ses obsèques. N’aura-t-il été qu’un ‘‘noir de service’’ dont la mort n’aura mérité qu’un bof de la part de ses concitoyens français ? Où fut l’honneur de la France invoqué par le prêtre ?
Pour comprendre, tant soit peu, les aspects du racisme anti-nègre made in France, on relira la remarque du Franco-Béninois au bas de la copie de la lettre ci-dessus citée : ‘‘Quand j’étais encore en fonction, la consigne était de ne pas donner suite, mais savoir que cela fait partie des possibles.’’ Traduction : certains Français sont définitivement butés. La Française Christiane Taubira, pétrie de talent et de compétence, n’a jamais trouvé grâce à leurs yeux : elle n’est pas blanche. Laetitia Avia peut donc se consoler, et constater en sus que, survoltés, les Français reprochent aux Corses d’être Corses, que les Jacobins n’aiment pas les Girondins, qu’on se demande si les Bourguignons aiment les Alsaciens. Petite consolation pour tous les MBAYE de France, il se murmure que les Français n’aiment pas les Français.
Roger Gbégnonvi
