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Maryse Condé et Ouidah en mode stéréo

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Grâce à l’Internet, votre interview au journal Le Monde a été lue presque en même temps que, le 9 décembre 2018, vous receviez à Stockholm le prix Nobel alternatif de littérature. Lue à Ouidah, port négrier du Dahomey guerrier. Lue en s’interrogeant. Pourquoi donc Maryse Condé parle-t-elle ainsi ? La grande écrivaine antillaise ne sait-elle pas que… ?
Par deux fois, vous vous dites outrée par le ‘‘silence de mes parents sur nos origines’’. Mais Pointe-à-Pitre c’est Ouidah, où l’on ne parle pas non plus de ce que vous appelez, par deux fois, ‘‘une histoire douloureuse’’. L’on sait pourquoi des patronymes portugais font corps avec Ouidah, l’on sait que des patronymes du terroir ont été revisités par leurs porteurs désireux de gommer la connotation vendeur dont ils ne sont plus très fiers aujourd’hui. Ouidah est en effet partagé entre descendants de vendeurs et descendants de vendus. Quand on est curieux et fouineur comme vous, on finit par s’apercevoir que la ville est parsemée de lieux où les vendeurs autochtones parquaient leurs lots d’hommes et de femmes, qu’ils gavaient avant les enchères pour que le Portugais les trouvât robustes. Tenez, Maryse, le Père Paul-Henry Dupuis, dans son ‘‘Histoire de l’Eglise du Bénin’’, révèle que la place appelée autrefois La Gore fonctionnait comme ‘‘tribunal et prison où se faisait aussi la vente des esclaves. Emplacement, aujourd’hui, de la Basilique de Ouidah’’. Basilique de l’Immaculée Conception. Vous voyez l’enchevêtrement des choses dans cette bonne ville mystique, esclavagiste et mariale ! La vente de l’humain rapportait gros, et les gens influents de la ville ont vendu à cœur joie tout le monde et son père, avec la bénédiction du Vaudou Aïzan. Si l’on dévoilait aujourd’hui tout ‘‘ça’’, Ouidah imploserait. Le silence qui va de Pointe-à-Pitre à Ouidah vous fait parler, à juste raison, de ‘‘ce milieu de honte et de mensonges’’.
Et vous explosez quand on vous demande comment les Africains vous ont accueillie au Sénégal, jeune Guadeloupéenne de 22 ans : ‘‘Mal… Je n’avais jamais imaginé que l’Afrique pouvait être une terre hostile.’’ Ecoutez, Maryse, Ouidah vous aurait été mêmement hostile. Pour une raison limpide. Sur la ‘‘Route de l’Esclave’’, qui mène à la ‘‘Porte du non-retour’’, il est deux arbres, autour desquels les enchaînés tournaient sept ou neuf fois selon le sexe. Le premier est dit de l’oubli : qu’ils oublient le pays vendeur. Le second est dit du retour : à leur mort, que leur esprit retourne dans le pays vendeur. Leur esprit ! Quand donc reviennent leurs descendants en chair et en os, Ouidah panique. Et il est vrai qu’aucun agenda n’a envisagé ce face à face avec fils et filles de nos ancêtres partis dans la douleur, vendus par nos ancêtres les plus forts. Inacceptable donc. Retour spirituel et non corporel. Retour des morts et non de leurs enfants vivants. Et si c’étaient des zombis, comme ils savent le devenir à Haïti ? Et ils vont se venger sur nous ! L’hostilité de notre regard vous a blessée. Vous êtes amère, inconsolable : ‘‘Je découvrais que la négritude de Césaire n’était qu’un beau rêve et que la couleur ne signifie rien.’’ Oui, à l’aune du sans-cœur de nos ancêtres communs, pas de solidarité de couleur, mais des vendus et des rescapés.
Or savez-vous quoi, Maryse ? Aimé Césaire, que vous appelez ‘‘mon poète favori’’, c’est de nous tous qu’il parle, de vous vendus et de nous rescapés, lorsqu’il écrit : ‘‘Ma mémoire est entourée de sang. Ma mémoire a sa ceinture de cadavres.’’ Vous là-bas et nous ici avons, ensemble, la même mémoire sinistrée, celle qui vous a ‘‘campée définitivement dans le camp de la révolte.’’ Oui, la révolte ! Mais veuillez, chère Maryse, penser souvent à Frantz Fanon, que vous appelez ‘‘mon maître’’. A nous tous il dit : ‘‘Le véritable saut consiste à introduire l’invention dans l’existence… Il ne faut pas essayer de fixer l’homme, puisque son destin est d’être lâché.’’ Merci, en tout cas, Maryse, pour votre révolte vivifiante.

Roger Gbégnonvi


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