L’expérience vécue – et non subie – atteste que les Béninois chérissent la vindicte. Soit populaire et hurlante. Soit singulière et silencieuse. La populaire concerne moto ou mouton perdus, et aperçus en possession d’un quidam. On se saisit de lui à grands cris de ‘‘au voleur !’’ Il n’est peut-être qu’un receleur ignorant de son statut. Tu parles ! Collier de vieux pneus. Carafe d’essence. Allumette craquée. Le coupable désigné part en flammes en hurlant qu’il est innocent. Cause toujours ! Autour du supplicié, la foule accourue hurle aussi, non de souffrances atroces mais de sadisme jubilatoire. Un soir à C…, en 1997, les plus enthousiastes emportent le crâne et les os du macchabée. Ils les brandissent à travers la cité en hurlant. La liesse de la rue fait sortir les riverains qui saluent en hurlant le trophée de la vengeance porté en triomphe. Police et gendarmerie sont tenues à distance, en respect.
La vindicte singulière concerne des frustrations plus intimes telles que partage entre frères et sœurs de l’héritage paternel, mari volage, épouse présumée infidèle, réussite voyante de votre collègue contrastant avec votre échec éclatant, etc. Malheureux, vous déclenchez ‘‘la guerre des choses dans l’ombre’’. Pieu fiché en terre en mâchouillant le nom de celui qui ose vous défier. Incantations. Fumigations. Injonctions à Michel-Archange. Tant et si bien qu’avec l’avance prise en attaquant sans sommation, vous l’emportez. Atteint par un missile silencieux sous la forme d’un AVC fulgurant, l’audacieux s’est avachi à vie dans son fauteuil. Mieux, il a rendu prestement sa vilaine âme à Satan. Terminé. Vous êtes heureux.
Telle est la résolution idéale des conflits au Bénin. C’est pourquoi les Béninois entrent en colère lorsque l’Etat envoie la police voir dans les affaires d’un milliardaire suspecté de trafic illégal, de casse de la SONAPRA quand il la dirigeait, de placement illégal quand il défendait avec rage les pauvres travailleurs, etc. Alors, avant même que ne soit saisi le procureur de la République, la crème de la classe politique s’ébranle vers l’innocent que l’Etat est en train de brimer. Barrage. Haie d’honneur. Ceinture sanitaire pour le protéger de la peste des juges et du choléra des tribunaux. On ne le livrera pas pour autant à l’une des efficaces vindictes ci-dessus, non ! S’agissant des milliards d’un copain connu et estimé, et non de moto ou de mouton aperçus chez un coquin inconnu qui mérite cent fois la mort, on négocie : ‘‘Dis donc, tu exagères ! Tout ça pour toi seul ? Nous aussi on veut manger !’’ Ô Seigneur, tu sais de quoi les poches étaient gonflées au sortir du mauvais cinéma de Djeffa.
Or donc, toi Etat béninois, garant de la liberté et de la sécurité des Béninois, tu ne te lasseras pas d’éventer les containers suspects, de t’interroger sur la fortune gaillarde des ex directeurs de la SONAPRA et des ex présidents de Conseil d’Administration, etc. Tu ne te lasseras pas de refuser l’inique équation immunité parlementaire = impunité parlementaire. Tu ne te lasseras pas de nettoyer les écuries d’Augias afin que notre Parlement ne soit plus la fange où vont continuer à barboter les hauts fonctionnaires après nous avoir dépouillés au Gouvernement et à la tête des Sociétés publiques. Si toi, Etat béninois, tu te lasses de faire ton devoir, tu te rends responsable et coupable du possible enfer béninois. Indiciblement frustré par une gouvernance laxiste, le petit peuple enchaîne et accentue vindictes hurlantes et silencieuses. Elles ne suffisent pas à sa soif de vengeance contre la petite élite qui le malmène et l’appauvrit : Alors il bascule dans la jacquerie : on pille, on viole, on égorge. C’est arrivé ailleurs : Séléka et Antibalaka. Version africaine d’un nihilisme en vrac et hirsute.
Pour en préserver le Bénin, toi Etat béninois, ne te lasse point de rendre l’imparfaite justice des hommes. Pendant 58 ans, nous avons su garder notre pays dans une Fraternité perfectible. Nous devons à présent le construire dans la Justice et par le Travail aimés.
Roger Gbégnonvi