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Chronique

Trois voix d’Afrique pour l’Afrique-avenir

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Il est arrivé tout heureux. Doyen, on m’a informé par hasard. J’ai la solution à ton problème. Une fièvre typhoïde longtemps soignée comme paludisme et qui s’est incrustée, c’est gérable. Voici douze litres de tisane (de quelque plante du littoral béninois), dont tu prendras par jour trois verres-bambou. Tu laisses tomber tout l’attirail de la pharmacie. Tu te mets à ma recette. A la fin, tu refais les analyses. Tu constateras que tu auras été débarrassé de tout, sans dommage collatéral, sans problème surajouté. Voici une deuxième tisane. Elle sert à prévenir la maladie qui nous guette quand l’âge avance. Grand frère, tu le sais, je suis informaticien, fonctionnaire de l’Etat. Mais ma passion, ce sont les plantes. Depuis que j’ai découvert leurs mille vertus, j’y consacre mes loisirs, et mes économies vont à l’achat d’ouvrages idoines. C’est passionnant. Et je voudrais te prier de ne plus acheter de meubles sculptés. Ils sont beaux et précieux, mais ce sont nos forêts qui s’en vont. Or grâce à leurs trésors, nous pourrons nous passer des autres tout en leur apportant du nouveau. J’y crois.

Installée dans son salon huppé, Mme la sociologue, la soixantaine, reçoit du beau monde à dîner. A l’apéritif, la conversation vient à effleurer la religion. Et Madame de se confesser. De nature angoissée et en quête de paix intérieure, j’ai hanté moult temples, respiré l’encens de moult loges. Mon catholicisme initial ne m’a pas secourue, les autres voies semblables non plus. Mais cette quête vaine m’a fait découvrir que Dieu n’est nulle part, et pas non plus dans les religions du Livre. Nées au désert, elles disent que violence et sujétion sont le prix du salut promis par Dieu. Elles disent que Dieu c’est l’Infini, enferment l’Infini dans un livre, livre étudié et compris par des penseurs ou initiés européens et arabes des siècles 13ème ou 16ème, devenus du coup capables d’expliquer l’Infini. Non, ça ne tient pas la route. Pour moi aujourd’hui, si Dieu est, tu peux le ressentir en ton for intérieur sans pouvoir rien en dire d’objectif ni de cohérent. J’aime à présent les Japonais qui, au-dessus de toute religion, placent la vénération de leurs ancêtres. Ils s’en portent bien. Il n’y a pas de raison que les Africains se laissent dicter Dieu et considèrent les ancêtres judéo-chrétiens et arabo-musulmans comme leurs ancêtres par excellence. Non, ça ne tient pas la route. Nous devons inventer une voie nouvelle et la proposer au monde pour le guérir de la violence et de l’aliénation qui suintent des religions du Livre. Nous devons sortir de tous les guêpiers.
Un des convives, surnommé ‘‘fétichiste de l’écriture’’ (client impromptu du ci-dessus thérapeute), rebondit sur ‘‘guêpiers’’ et entonne son refrain devenu rengaine. Le vrai guêpier pour les Africains, c’est l’analphabétisme répandu, c’est de ne pouvoir lire-écrire aucune des langues du monde. C’est par l’écriture que les détenteurs du ‘‘privilège absolu de l’écriture’’ valident même les incohérences, y compris, Madame, la chosification de la femme. L’homme, en sa nature première, est une matière neutre, à qui l’écriture vient conférer une seconde nature qui se veut conquérante. L’analphabétisme est un ghetto. A s’y enfermer, l’homme s’atrophie corps et esprit et fait le lit de son aliénation à vie. Voilà pourquoi mon thérapeute, dont je vous ai parlé, a raison de se ruiner à acheter des livres.
L’enthousiasme contagieux du phytothérapeute autodidacte, le scepticisme un rien amer de la sociologue déçue par sa fréquentation des Eglises et des Ecoles convenues, la foi mâtiné de fanatisme du ‘‘fétichiste de l’écriture’’, voilà de quoi ébranler les appétits au seuil d’un dîner voulu amical et festif. Mais voilà aussi trois voix susceptibles d’ébranler le ‘‘sommeil dogmatique’’ des convives, si heureux devant leurs verres, et de leur faire concevoir, peut-être, que, ‘‘ce qu’il faut, c’est essayer d’arracher soi-même un miracle de vie et de beauté à la matière.’’ Voilà, peut-être, trois voix d’Afrique pour l’Afrique-avenir.

Roger Gbégnonvi


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