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Chronique

Vie et mort de Bertin Nahum à Ouidah

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En 2017, la France célèbre un Français, Bertin Nahum, 44 ans, né à Dakar de parents béninois, natifs du quartier Fonsramê à Ouidah, où l’on vénère le Vaudou tout autant que les divinités importées. Vénération tous azimuts qu’autorise le syncrétisme de juxtaposition, catégorie ignorée des philosophies et des théologies enseignées. Technicien de génie, le Béninois Bertin Nahum se sera tenu éloigné de la métaphysique. ‘‘Pionnier de la robotique médicale, il a mis au point un robot chirurgical qui opère le cerveau avec une fiabilité et une précision sans égales.’’ Adoptée par les hôpitaux d’Europe, son invention soulage ‘‘des milliers de patients chaque année’’. Bertin Nahum, coryphée de la science, vit à Montpelier.

Mais l’on suppose que lorsqu’il a perdu à l’âge de huit ans ses parents, Bertin est venu s’établir sur la terre de ses origines à Ouidah, notamment là où se trouve la maison familiale, à Fonsramê, quartier imprégné de Vaudou, comme tout Ouidah. A l’arrivée de l’enfant Bertin frappé par le malheur, nous avons consulté à son sujet le Fá, porte-parole des vaudous. Grâce à quoi nous lui avons révélé que le décès de ses parents était un effet absolu de la sorcellerie. ‘‘Car tes parents mordaient dans la vie et ne nous envoyaient rien pour faire manger les morts. Ils avaient oublié que ‘‘Le menton doit avoir sa part du bonheur de la barbe.’’ Fâchés, les sorciers, réunis dans l’iroko tutélaire, ont fait ripaille du principe vital de tes parents. Toi aussi, tu es en danger de mort imminente. Pour ton salut, Fá exige que tu sois à lui consacré.’’ Nous avons donc pris à l’enfant une bonne partie de son héritage pour organiser les cérémonies de sa consécration à Fá. Sur nos conseils, á 16 ans, il adopta Gbadu, un ‘‘signe de Fá, dont le possesseur est très craint : il peut entraîner des malheurs autour de lui’’. Gbadu vit du sang de canard. Il anéantit son maître quand il ne mange pas à temps ce qu’il lui faut de canards pour assurer la sécurité dudit maître. Puisatier improvisé, Bertin n’avait pas un puits à creuser tous les jours, mais avait la peur aux trousses. Il élevait donc lui-même les canards à sacrifier à Gbadu. Il en vendait parfois un ou deux pour un peu d’argent de poche. Se sentant sans cesse menacé par les ennemis supposés, il consolidait son assurance-vie en allant recevoir périodiquement le salut vaudou dans les couvents appropriés. Il se rapprocha des Chrétiens Célestes. Il snoba catholiques et protestants, jugés dépassés et inefficaces, et se porta vers les Eglises du Réveil. La magie des psaumes de David et les fulminations des pasteurs lui conférèrent l’Effusion et le Salut chrétien. Ainsi porté par religions, objurgations, incantations, inhalations, etc., Bertin vécut 25 longues années comme l’on vit à Ouidah. Le principe vital l’abandonna pendant sa 33ème année. Il laissa derrière lui cinq épouses connues, treize enfants reconnus, quelques autres inconnus parce qu’il les aura eus avec des passantes à qui il n’avait pas promis le statut d’épouse. Bertin ne dérogea en rien aux us et coutumes qui sont le quotidien de sa ville esclavagiste et mariale.
Et voilà nommé un des lieux de l’imbroglio historique et traumatique qui tout abaisse et tout aplatit dans Ouidah éteint qui tout éteint. Pythons sacrés à la poussière collés, Vierge Immaculée vers le Ciel tournée, et les deux divinités se toisent et se neutralisent depuis toujours dans Ouidah immobile. Ouidah de la peur cultivée et entretenue. Partout des égouts de haine et de vendetta. Et nous crânons à Ouidah sur des monceaux de ruines. A l’heure ultime, qu’auront conseillé les parents Nahum à leur fils ? On le devine aisément. Ils savaient trop bien que c’est mourir que de vivre et mourir à Ouidah. Ils ont donc arraché Bertin à Ouidah pour l’enraciner à Montpelier. Fleurir à Montpelier pour ne pas périr à Ouidah. Car Ouidah immobile momifie ses enfants… Errance. Vertige. Délire. Ouidah chaviré chavire… Chambouler Ouidah pour que puissent y vivre ses enfants ? Chambouler Ouidah !

Par Roger Gbégnonvi


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