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[Chronique Roger Gbégnonvi] Propos impromptus d’un jeune Africain en révolte

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Dear Mister, merci de m’avoir caché ici. Mais permettez-moi de vous dire que je n’accepte pas vos reproches et que mes camarades et moi ne nous reconnaissons plus dans la distinction que vous établissez entre le bien et le mal. Au moment où je vous parle, deux anciens premiers ministres du pays à l’ouest sont morts à deux mois d’intervalle dans des hôpitaux Cinq-Etoiles en Europe. Où mourrons mes parents et moi ? Au village. Ni eau ni électricité. Une infirmerie sans infirmier et qui est une passoire pour le ciel en matière de soleil et de pluie. Alors que, au contraire de vous, nous avons du pétrole. Pas mal de pétrole. Mais partout en Afrique, c’est pareil. Parce que les cadavres, qui nous reviendront en avion et en grande pompe, se seront servis du pouvoir pour se servir, eux, et non le pays. Députés, ministres, présidents, ce sont sangsues géantes accrochées à l’Afrique, sangsues que vous aimez, car vous êtes leur contemporain et leur supporter et, donc, le type du faux modèle de réussite sociale. Il vous a suffi en effet de naître il y a bientôt 80 ans, quand il y avait tant de biens pour si peu de gens. Vous vous êtes baissé, avez tout ramassé et n’avez rien semé à la place. Nous, on arrive. Population décuplée. On a 25 ans. On a des diplômes. Et quel héritage vous nous laissez ? Le désert et la mer à labourer. Or nous ne sommes pas Hercule.
Nous avons donc basculé. Fusils et maquis. Nous venger ? Non, nous sommes des garçons dignes. Et tous les noms sinistres que vous nous accolez, fous, terroristes, etc., nous laissent de marbre. Kalachnikovs au poing et grenades dégoupillées, nous marchons sur vos brisées. Arrivés au bout de la nuit que vous avez voulue sans promesse d’aube, nous avons jugé convenable d’ajouter de la nuit à la nuit. Dans le rien où vos contemporains et vous avez plongé mes contemporains et moi, il peut faire sens d’ajouter du non-sens au non-sens que vous cultivez et entretenez. Nous ne nous vengeons point. Nous sommes dans l’action pour prolonger l’absurde. Vos contemporains et amis assurent contre nous votre sécurité. Ils nous pourchassent avec armes et bagages et soldats envoyés par l’Europe venue vous protéger pour continuer, protégée par vous, à ronger et ruiner l’Afrique. Et pendant qu’elle vous protège, nos contemporains diplômés restés hors maquis ne vivent pas, ils survivent. La femme, « avenir de l’homme », vivote en se vendant à quat’ sous dans des arrière-cours sordides. Et dans les quartiers sordides, on les voit, jeunes gens zombis errants, « avenir de la nation », regard éteint, mental atteint, à force de tenter de noyer l’enfer réel dans les paradis artificiels de l’héroïne. Voilà, dear Mister, votre sécurité et votre avenir assurés.
Hélas, votre âge avancé me dissuade d’envisager pour vous un avenir. Mais, si vous avez enfants et petits-enfants, ménagez-leur un avenir. Nous invoquons Dieu ? Ah le terrible reproche ! Mais tout le monde invoque Dieu. Car l’argent et la guerre ont besoin de Dieu. « En Dieu nous croyons » sur les billets de banque du pays Tout-Dollar. « Dieu avec nous » sur les ceinturons des conjurés nazis. « Eglises du Réveil » dans tous les dépotoirs humains où Dieu endort les gens de rien. Ils se réveilleront dans l’abîme pour une chute sempiternelle puisque l’abîme est sans fond. Mes amis et moi invoquons Dieu dans le même but que vous : en rajouter à l’enfer qui est toujours ici et maintenant et pas ailleurs et pas plus tard.
Vous semblez avoir trouvé la faille. Vous nous traquez en ce moment avec une certaine efficacité, ce qui me vaut cette planque pour laquelle je vous remercie encore. Ecrasez-nous. Vous en avez les moyens. Mais si vous maintenez la situation en l’état, nous ressurgirons, moustiques, pour assiéger vos nuits. Une porte de sortie ? Oui, il en existe une, dont vos contemporains et vous détenez encore la clé. Puisse-t-il vous plaire de l’actionner dans le sens de l’ouverture sur un avenir humain pour vos enfants et petits-enfants. Merci.

Roger GBÉGNONVI

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