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[Chronique Roger Gbégnonvi]: Décembre, mois de Dieu à l’image des Béninois

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Après avoir, tout le mois de novembre, cajolé tendrement leurs morts, les Béninois débarquent, pieds joints, dans le mois de décembre, et surprennent leur Dieu en train de réaménager la population. Ainsi le voyons-nous chaque année. Pendant 11 mois d’affilée, sorcellerie, jalousie, béninoiserie, etc., ont envoyé à la mort un important contingent de nos concitoyens. En décembre, subitement, notre Dieu prend lui-même les choses en main pour qu’à la Saint-Sylvestre la balance ne penche pas trop d’un côté. Et alors qu’il peut niveler par le haut en sollicitant les naissances prématurées, il choisit le très béninois nivellement par le bas en piochant au hasard dans le tas de Béninois vivants. Et nous voici guettant, avec gourmandise, les taxis qui partent en tonneau sans raison et déversent passagers et chauffeurs à la morgue. Les AVC abrupts et irréversibles. Les amis retrouvés raides au petit matin alors que, la veille, vous avez honoré ensemble un bon whisky. Etc. La peur de mourir en décembre dicte à notre imaginaire funeste cette hécatombe ourdie par Dieu made in Bénin afin de tuer avant janvier quantité de Béninois pour solde de tout compte.
Or pas un seul Béninois ne veut entrer dans la lugubre comptabilité décembriste de notre Dieu. D’où le sauve-qui-peut échevelé. Et nous voici multipliant à l’infini savons et parfums qui dissolvent la mort, même celle envoyée par Dieu. Talismans asiatiques très efficaces renforcent le stock local. Poudres à laper. Feuilles à mâchouiller. Incantations à lancer au ciel à minuit en étant nu comme un ver, comme Adam et Eve avant la pomme. Rien n’est négligé, tout est amplifié, pour que notre Dieu nous oublie sur la dernière ligne droite vers le 1er janvier. Nous devons franchir ce cap. Oui, le franchir ! Et nous avons cassé la tirelire. Acheté un bœuf. Egorgé. Dans son sang encore chaud nous avons roulé pour un bain lustral grandiose et rédempteur. Dans la forêt. A minuit. Au croisement de deux sentiers. Pour que le Dieu de nos angoisses et de nos délires nous laisse vivre, voici pour nos vaudous moult cabris, poulets, canards. Egorgés. Afin d’apaiser notre Dieu que décembre rend fou et mortifère, voici nos tam-tams déchaînés en décibels pour appeler nos vaudous au secours.
Et chaque année, décembre passé, le Dieu de nos angoisses et de nos délires laisse les Béninois rescapés poursuivre leur route, la route pépère des Béninois. En 2020, nous arriverons en retard partout et toujours pour justifier fièrement que Ouidah-92 fut en réalité Ouidah-93. Nos comptables resteront collés à leur théorie de la comptabilité corrigée-maison, et qui consiste à fausser, en tout bien tout honneur, les chiffres. Sur les réseaux sociaux, nous nous répandrons en liberté de mentir, médire et diffamer. Nous ferons monter les enchères en matière d’obsèques fastueuses et laisserons à la rue nombre de nos enfants. Nous distribuerons à nos copains et copines les vivres destinés aux écoliers. Nous nous vêtirons de friperies et serons fiérots au volant de tacots « venus-de-France ». A travers leurs écolières des maîtres devineront des maîtresses faciles et fraîches et s’y attaqueront. Etc.
Puis, en décembre 2020, nous rejouerons le psychodrame annuel pour que nul idéal jamais ne fleurisse. Esclaves hier de tous, nous le sommes aujourd’hui de la Bête. Entre nous et le Dieu de nos angoisses et de nos délires, c’est un pacte de solide sur-place et de recul garanti. Mais nous pourrions échapper au précipice et nous retrouver entassés dans quelque réserve pour bipèdes ayant, au 3ème millénaire, refusé toute évolution de leur espèce. L’intelligence artificielle aidant, le monde en marche jouirait de l’insolite sur ses nano écrans. Nous-mêmes jouirions d’un titre de gloire à la Sisyphe. Le sur-place émouvant et grandiose de Sisyphe. Au bas de la montagne, il reprend sa pierre et la remonte, la regarde retomber et redescend pour la remonter. Toujours. Son destin. Or « Il faut imaginer Sisyphe heureux ».

Roger Gbégnonvi

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