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Chronique

Tirailleurs Sénégalais, Teilhard de Chardin et Senghor

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L’armistice centenaire célébré avec faste à Paris nous donne de nous souvenir de nos grands-pères enrôlés qui ne sont pas revenus après le 11 novembre 1918. Analphabètes, ils n’ont pas laissé le moindre écrit en termes de lettres envoyées aux leurs. La photographie n’était pas encore entrée dans nos cases, et ils n’ont donc pas laissé de visage. Ayant constaté que la traversée de l’océan avait anéanti les pouvoirs de leurs grigris et amulettes, certains seraient devenus fous de désespoir avant que d’être anéantis par un éclat d’obus. On le dit, mais ce n’est pas certain. Ceux qui sont revenus ne disent rien ou pas grand-chose, comme s’ils n’avaient pas compris la furie où ils ont été pris, ni comment ils en sont sortis, ni pourquoi ils y sont entrés rebaptisés Sénégalais. Ils étaient Dahoméens, Maliens, Sénégalais, Soudanais, Tchadiens, etc., mais on les a tous étiquetés Tirailleurs Sénégalais et administrés comme tels. Tirailleurs parce que ‘‘soldats détachés pour tirer à volonté sur l’ennemi.’’ Sénégalais parce que l’Afrique noire est un gros bourg où l’on n’a pas à faire dans le détail.

Tirailleurs sénégalais tombés sur le champ de bataille

Enrôlé lui aussi, Teilhard de Chardin fut surpris de les voir dans ‘‘le village meusien qui abrite tant de sauvages’’. Il n’y avait pas là que nos grands-pères dits Sénégalais, mais quelle histoire quand même ! Le 8 septembre 1916, le Père écrit à sa cousine son sentiment : ‘‘Avec certains Africains, sans doute, la soudure est désagréable. En tout cas, avec les Russes, Australiens, etc… la fusion aura de précieuses conséquences.’’ Avec les Africains, nenni ! Une sorte d’angoisse saisit le jésuite caporal-brancardier devant ces noirs visages avec qui il ne pouvait dialoguer, lui qui aimait déjà interroger les pierres. L’univers culturel de nos grands-pères était si éloigné du sien que même la communication gestuelle a dû être un problème.
Léopold Sédar Senghor avait 8 ans en 1914, et n’a donc été enrôlé comme Tirailleur qu’en 1939 pour la furie suivante. Mais en 1940, c’est aux ‘‘Hosties noires’’ de la première qu’il s’adresse de sa prison : ‘‘Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude sous la glace et la mort / Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes, votre frère de sang ?’’ A 20 ans de distance. A cause de la Bête en l’Homme. Eclate la colère du poète : ‘‘Je ne laisserai pas la parole aux ministres et pas aux généraux / Je ne laisserai pas – non ! – les louanges de mépris vous enterrer furtivement. / Vous n’êtes pas des pauvres aux poches vides sans honneur / Mais je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France.’’
Léopold Sédar Senghor lisait Pierre Teilhard de Chardin. Mais il n’est pas certain que l’enfant d’Orcines, près de Clermont-Ferrand, qui traçait les sillons nouveaux de la pensée à venir, ait connu quelque chant de l’enfant de Joal en Casamance, qui énonçait, sur fond de koras et balafons, les rythmes nouveaux à venir. Mais il est certain que ces deux lumières, en transit depuis 1955 et 2001, forment désormais faisceau dans les sphères supérieures des univers réconciliés. – Pierre, tu as écrit que ‘‘tout ce qui monte converge’’. – Oui, merci, Léopold, de me ramener au cœur solaire de ma vision de l’avenir du monde, proche de ce que toi-même as écrit, je le sais maintenant, ‘‘une ceinture de mains fraternelles DESSOUS L’ARC-EN-CIEL DE TA PAIX’’. Et tu t’adressais même, je crois, à mon Christ mystique ou universel. – Je le veux bien, Pierre, mais crois-tu toujours que nos guerres convergent vers cette fraternisation universelle ? – Tout à fait, Léopold, et je l’ai écrit : ‘‘Nous ressemblons à ces soldats qui tombent, au cours de l’assaut dont sortira la paix’’ – Tu as aussi écrit, Pierre, et c’est troublant : ‘‘Les feux de l’enfer et les feux du ciel ne sont pas deux forces différentes, mais les manifestations contraires de la même énergie.’’ – Ô Léopold, ne sois pas troublé, car avec tout l’univers, avec tous hommes d’ici et d’ailleurs, nous voici toujours déjà tournés vers toute la Beauté, vers toute la Bonté. Ne le crois-tu pas ? – Si, je le crois. Merci, Pierre.

Roger Gbégnonvi


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