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Alfred de Vigny au service du Bénin

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Alfred de Vigny au service du Une famille béninoise plus que modeste dans le Bénin profond. Niveau de vie pas loin de la précarité. Un parler français en deçà du CEPE dévalué de nos enfants. Pas trace de bibliothèque. Deux livres néanmoins, que le mari vous apporte de la chambre à coucher du couple. Ils ont coûté 25.000 et 27.000 f CFA. Un très gros investissement, eu égard à ce que ‘‘l’argent ne circule plus’’, pas au niveau de vos hôtes en tout cas. Mais les deux livres, 376 et 326 pp., les satisfont tout à fait grâce à 121 (44+77) rituels émanés de ‘‘l’usage des Bougies en Magie’’ et de l’usage des ‘‘plantes et encens magiques’’. Ces rituels résolvent tous les problèmes et comblent tous les besoins de la vie. Les prières qui les soutiennent font pâlir le Pater Noster et l’Ave Maria. Aux deux livres et à leurs rituels magiques, il faut ajouter les vaudous LÊGBÀ et DÀN trônant au seuil de la maison, le vauTVdou FÁ reposant, comme à son habitude, au fond des appartements. Fumigations et incantations européennes n’empêchent donc pas mâchoullis et rituels tout aussi magiques du terroir béninois. Le déploiement de cette liturgie d’ici et d’ailleurs accomplit des merveilles – il faut le croire – dans la vie du couple qui vous accueille. Et comme à votre avis l’ensemble des Béninois recourt aux rituels magiques d’ici et d’ailleurs, le Bénin est sensément le ‘‘pays où coulent le lait et le miel’’.
Bien entendu, la vérité n’est pas celle-là. L’espérance biblique de la terre promise s’accomplit plutôt en Europe parce que, tout en se délectant de la poésie des encens et des bougies, des fumigations et des incantations, les Européens se bougent, travaillent, inventent. Par exemple, avec le coton brut béninois, burkinabé, malien, etc., ils créent chez eux pour leur jeunesse mille et un emplois, pendant que les pays africains bradeurs de leur coton brut étalent leurs jeunes diplômés baptisés misérablement ‘‘sans-emploi’’. Et nous avons publié vaillamment : ‘‘La pauvreté richesse des peuples’’. On ne saurait donc parler du Bénin en termes de pays de cocagne parce que, portés aux nues par encens et bougies, fumigations et incantations, les Béninois sommeillent collectivement dans l’extase de la poésie de ‘‘Dieu fera’’. Les Ecureuils participeront peut-être un jour à un Mondial du football. En attendant que Dieu les sélectionne, des Béninois respectables soutiennent que c’est le Bénin qui a fait gagner la France en 1998 par l’efficacité de ses rituels magiques qui ont multiplié par zéro les mille et un entraînements des Bleus. Pourquoi ne pas les croire ?
La vérité n’est pourtant pas celle-là. La vérité, la voici : par-delà l’or du calice et de l’ostensoir, par-delà les douze étoiles scintillantes de la Madone bienveillante, et les grandes orgues berçant Dieu dans Sa Majesté, et le prêtre faisant monter vers Son Trône des encens de toute suavité, malgré les raisons qu’ils ont de geindre aux pieds du Sauveur crucifié, les Européens croient à la valeur absolue du travail. Tous approuvent Alfred de Vigny qui a dit le cœur de leur philosophie : ‘‘Gémir, pleurer, prier, est également lâche. / Fais énergiquement ta longue et lourde tâche / Dans la voie où le sort a voulu t’appeler,…’’ Les Béninois, quant à eux, pourraient, pour se mettre au travail, s’appuyer sur leur adage ancestral : ‘‘Le bâton est plus efficace que le gris-gris.’’ Hélas, ils ne tiennent pas le bâton pour le symbole de la tâche qu’ils doivent faire énergiquement, ils considèrent le bâton de l’adage comme un super gris-gris qui les dispense de faire des efforts. Et pendant que, ou pensant que, Dieu, gris-gris et super gris-gris travaillent pour eux, ils mangent du pain de blé en cultivant la fiesta non-stop : tam-tam la nuit, ‘‘rires banania’’ le jour. Et ils convoquent les morts pour les faire danser. Et ils roulent les mécaniques sur les bords de la précarité sous le regard médusé du monde marchant. S’ils veulent exorciser la précarité – mais peuvent-ils le vouloir ? – les Béninois doivent aller à l’école d’Alfred de Vigny au service du Bénin sur les voies de l’effort.

Roger Gbégnonvi


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